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Management des Connaissances et des Systèmes d'Information

Weblog sur le Knowledge Management et les Systèmes d'Information pour l'Innovation

Recherche

De la connaissance en organisation
--> Connaissance mutuelle, connaissance collaborative...: évolution du champ

Il est toujours passionnant de voir progresser la découverte d'un domaine. Malgré les très nombreuses critiques qui touchent souvent les Sciences Humaines et Sociales sur l'éclatement des recherches ou l'imprécision des avancées, il est remarquable de constater que sur certains sujets où la communauté a décidé qu'il fallait progresser, les progrès sont rapides et solides. C'est typiquement le cas de la compréhension de ce qu'est la connaissance en organisation.

Nous sommes aujourd'hui très loin du constat du manque de compréhension de ce qu'est la connaissance fait par R. Reix en 1995: "une importance considérable a été accordées au phénomène de l'apprentissage organisationnel alors que peu d'études ont été consacrées à l'analyse de la connaissance, du savoir de l'organisation". Certes la connaissance en organisation reste encore largement une inconnue mais beaucoup, beaucoup a été fait et les progrès sont tels qu'aujourd'hui nous pouvons la piloter de façon de plus en plus efficace. C'est du moins ce que montrent les toutes dernières avancées dans ce domaine avec des travaux sur la connaissance mutuelle et la connaissance collaborative.

Pendant longtemps nous sommes restés sur une idée relativement éthérée de ce qu'était la connaissance en organisation . Les travaux de Nonaka ont permis surtout de comprendre une partie de son processus de création (le fameux SECI) et l'importance de la culture partagée (le BA) pour la mise en oeuvre de ce processus. Mais finalement, nous n'avions que très peu de lieux d'étude approfondie de ce qu'est la connaissance. La taille des organisations étudiées faisait que nous observions une foule de données, de variables qui nous conduisait à constater la complexité de ce phénomène organisationnel mais nous ne parvenions pas véritablement à progresser. Pour reprendre l'expression de Lacroix et Naro (2007), la connaissance à l'échelle de l'entreprise est caractérisée par une "complexité sociale et une ambiguité causale" telles qu'il est parfois désespérant de parvenir à mieux comprendre ce qu'elle est.

Les choses ont changées quand les chercheurs ont commencé à focaliser leurs études de la connaissance sur des organisations plus petites, elles-mêmes centrées sur la création ou l'échange de connaissances. Ainsi depuis l'émergence de l'étude des Systèmes de Gestion des Connaissances (SGC) ou Knowledge Management Systems, nous y voyons plus clair. Une avancée significative a notamment été faite ces dernières années via l'étude de la connaissance dans des SGC totalement virtuels. L'apparition des travaux sur les équipes virtuelles ou les Communautés Virtuelles Professionnelles nous a en particulier permis de faire un grand bond dans la compréhension de ce qu'est la connaissance.

Au moment où les chercheurs en KM se tournaient vers les théories et travaux sur les Communautés de Pratiques pour mieux comprendre, sur des périmètres plus petits, comment la connaissance se créait et émergeait, en parallèle l'apparition concrète dans les entreprises d'équipes et de communautés totalement virtuelles nous a conduit à tourner notre regard vers d'autres disciplines que celles du management et des Sciences des Organisations. De fait, la virtualité de ces équipes nous a effectivement amené à ouvrir la communauté des chercheurs en KM aux travaux sur la Collaboration, ses outils et son ingénierie. Nous avons ré-introduits des concepts issus de l'informatique dans notre champ de recherche en management nous faisant progresser fortement sur ces sujets.


Deux articles récents me semblent particulièrement illustratifs sur ce point. Le premier est celui publié par M. DAASSI et M. FAVIER dans le dernier numéro de la revue Systèmes d'Information et Management (référence en fin de Post).

Au sein des équipes virtuelles, le travail des chercheurs consiste notamment désormais à mieux comprendre ce qu'est vraiment la connaissance. Au fil des travaux nous nous sommes rendus compte que la connaissance dans ces équipes n'étaient pas uniquement constituée de "contenu", c'est-à-dire de ce qui était échangé. Cela peut paraître trivial mais des études solides ont montré que certes des connaissances de "contenu" (très proches de ce qu'est l'information) étaient échangées dans ces organisaitons et qu'elles permettaient d'en créer de nouvelles, utiles pour l'innovation, mais que pour que cela se passe bien, il fallait la présence et l'échange d'autres types de connaissances. Ainsi nous avons constaté qu'un peu comme dans une cellule, pour qu'elle fonctionne et créée vraiment ce qu'elle a à créer, il fallait pleins de mollecules différentes qui étaient constamment en interaction. Dans le travail de DAASSI et FAVIER, ce qui est approfondi c'est la compréhension d'une de ces "molécules" qu'est la Connaissance dite "mutuelle". La connaissance mutuelle est définie comme : "une vision commune et partagée sur le contexte global de l'équipe, permettant aux membres de cette équipe de coordonner implicitement leurs activités et comportements à travers la communication".

Pendant longtemps on a cru que pour que le KM fonctionne efficacement il suffisait d'un contexte particulier, voire juste d'une culture particulière (le Ba de Nonaka). Les travaux récents sur les équipes virtuelles et les communautés de pratiques ont montré que le contexte ou la culture n'était pas suffisant mais qu'il fallait bien la présence d'une connaissance particulière. La connaissance mutuelle en est une composante que DAASI et FAVIER présentent et discutent en détail. Pour eux, cette connaissance facilite la coordination dans les équipes virtuelles et favorise ainsi la collaboration: elle permet aux partenaires d'adapter et de planifier leur comportement en fonction de ce qu'ils savent réciproquement les uns des autres.

 Je vous laisserai le soin de découvrir plus en détail ce qu'est cette connaissance et comment elle fonctionne, mais sachez cependant que DAASSI et FAVIER démontrent par une étude approfondie que cette connaissance a une structure double. Il y a une connaissance mutuelle OPERATOIRE qui est centrée sur la répartition des rôles, des tâches, leur coordination pour atteindre les objectifs de l'équipe et une connaissance mutuelle RELATIONNELLE plus fondée sur la vie de l'équipe, les émotions. Ainsi la connaissance mutuelle se crée dans un double processus: à la fois dans l'échange lié à la réalisation des tâches qu'a à faire l'équipe et dans l'échange plus informel lié aux relations humaines dans l'équipe. Par ailleurs, ce qu'ils démontrent aussi c'est que la création d'une connaissance mutuelle requière du temps, qu'elle ne se fait pas du jour au lendemain, mais aussi que la confiance comme la cohésion dans l'équipe jouent un rôle essentiel pour la création de cette connaissance. Reste bien sûr désormais à prouver le lien entre cette connaissance mutuelle et la performance des équipes virtuelles. Toutefois grâce à ces travaux nous connaissons déjà mieux la nature de la connaissance présente et échangée dans les équipes virtuelles.

Cette connaissance mutuelle est très proche de ce que d'autres auteurs comme BOUGHZALA (2008) appellent la Connaissance Collaborative qui donne lieu à un Collaborative Knowledge Management. En fait, ce que l'on constate c'est que pour qu'un KM efficace ait lieu il faut des connaissances de collaboration assez poussée dans l'organisation. Pour manager les connaissances, il faut certes essayer d'optimiser les processus de formalisation, partage... mais aussi et surtout ceux de collaboration. Ces processus de collaboration s'appuient sur des connaissances collaboratives, c'est-à-dire des capacités à collaborer. C'est là que l'Ingénierie de la Collaboration peut avoir un rôle crucial pour mieux piloter le KM et je vous renvoie au papier que nous avons écrit avec M. Lettry et I. Boughzala sur ce sujet en 2007 pour mieux comprendre comment (Lettry et ali, 2007).

Pour mieux comprendre encore ceux que sont ces connaissances de collaboration, je vous renvoie au deuxième article illustratif sur ces questions qui est l'article de Wakefield et Leidner (2006). Eux par exemple précisent que ces connaissances sont à la fois des connaissances sur les tâches à accomplir par l'équipe pour atteindre ces objectifs (Task Knowledge), des connaissances relationnelles qui sont les connaissances des membres de l'équipe entre eux (Relational Knowledge) et des connaissances sur le processus à mener pour atteindre les objectifs fixés à l'équipe (Process Knowledge). Chacun de ces types de connaissances peut donner lieu à conflits au sein de l’équipe virtuelle.  Aussi le Leader de la communauté ne doit pas seulement vérifier que l’échange de connaissances de « contenu » et que l’exécution des tâches se fait effectivement  mais il doit également gérer chacun de ces types de connaissances pour éviter les conflits et faciliter la collaboration: « Not only must the leader oversees the work of other team members, but as a member of the team, the leader also sets standards for collaboration and the expectations for how the team functions ». Pour cela il pourra adopter des rôles différents (coordinator, monitor, facilitator, mentor…)

Au final, tout ceci vous laisse peut être songeurs et vous vous dîtes que c'était finalement bien évident! ;-) En fait, si ça l'avait été, nous aurions depuis longtemps dans les organisations des Systèmes KM optimisés. Aujourd'hui encore la très grande majorité des Systèmes KM mettent l'accent sur la gestion des connaissances que j'appelle de "contenu", c'est à dire de ce qu'il faut vraiment échanger. Dans une Communauté de Pratiques d'Acheteurs par exemple, on mettra l'accent sur la formalisation des connaissances des fournisseurs et sur l'échange de ces informations. Certes c'est le but ultime de ces systèmes: faire que cette connaissance qui aide vraiment l'entreprise dans ces processus opérationnels soit accessible. Néanmoins, si le Système KM ne met l'accent que sur la gestion de ces seules connaissances de "contenu" alors le système ne fonctionnera pas. Ces dernières avancées en KM démontrent que les Systèmes qui fonctionnent réellement ont intégré que pour que ces connaissances de "contenu" soient réellement échangées ou créées de façon efficace, il fallait mettre en place des processus permettant de gérer d'autres types de connaissances. Et là, nous avons encore un peu de travail à faire aussi bien dans la prise en charge logicielle que dans la prise en charge managériale pour intégrer et appliquer dans toutes les organisations ces avancées scientifiques. ;-)

Références citées:

Reix R. (1995), Savoir tacite et savoir formalisé dans l’entreprise, Revue Française de Gestion, N° 105, Septembre-Octobre 1995, p 17-28

Lacroix M. et Naro G.(2007), Comptabilité financière et contrôle de gestion dans une économie des savoirs, in Connaissance et Management, ouvrage dédié à R. Reix, coordonné par P-L. Dubois et Y. Dupuy, Economica, 2007, p 103-111

Daassi M. et Favier M. (2007), Le nouveau défi des équipes virtuelles: construire et maintenir une connaissance mutuelle, Revue Systèmes d'Information et Management, n°3, Vol. 12, 2007, p 3-30

Boughzala I. (2008), KM et Collaboration, in "Vers le KM 2.0: quel management des connaissances imaginer pour faire face aux défis futurs?", ouvrage coordonné par Aurélie Dudezert et Imed Boughzala, Collection Entreprendre/SI, VUIBERT, à paraître 2008

Lettry M., Boughzala I., Dudezert A. (2007), Can Collaboration Engineering help Open Source Communities to structure their activities? Actes de la 12ème Conférence de l'Association Information et Management, Lausanne, Suisse, Juin

Wakefield R. and Leidner D. (2006), The Nature and Influence of Conflict in the Virtual Team, Proceedings of the America's Conference on Information Systems (AMCIS), Acapulco, Mexico, August 2006.



 

 
Ecrit par Ade, le Jeudi 7 Février 2008, 17:13 dans la rubrique "Articles de recherche".


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