Articles de recherche
Conférences
MACIS: Qu'est-ce que c'est?
Qui suis-je?
Sites à voir
C’est bien de management qu’il s’agit dans cet article et plus précisément de management des technologies. Les auteurs proposent la métaphore du millefeuille pour qualifier une tendance à la superposition des médias dans les organisations. L’introduction de nouveaux médias dans les entreprises apporte de nouvelles possibilités de communication qui se superposent à celles qui existent déjà. On assiste donc à un effet d’empilement, baptisé effet « millefeuille ».
Les auteurs partent de la théorie du millefeuille pour
discuter l’influence du contexte de l’entreprise sur cet effet d’empilement des
technologies. Ils étudient plus précisément dans cet article l’effet de
l’introduction du courrier électronique sur les autres moyens de communication.
Leur travail est basé sur une compréhension théorique de l’influence du
contexte organisationnel sur la gestion d’un portefeuille de moyens de
communication dans les entreprises confrontée à une étude de cas menée dans une
entreprise de construction de véhicules automobiles (qui a tout l’air d’être
l’entreprise RENAULT).
Selon la théorie du
millefeuille, le développement de nouveaux médias de communication dans les entreprises (comme l’email par
exemple) ne s’accompagne pas en général d’une réduction du nombre de réunions,
d’échanges en face à face ou de coups de téléphone : « le choix d’un moyen de communication dépend
d’une multitude de facteurs et s’inscrit dans la perspective non pas du choix
d’un média mais de la gestion d’un portefeuille de médias ». La
question est : comment le choix du média à utiliser va-t-il se faire dans
ce portefeuille de médias ?
3 facteurs déterminant le choix du média de communication au
sein du portefeuille sont identifiés par les auteurs après une étude
approfondie de la littérature :
1. des facteurs contingents : il s’agit de faire correspondre les caractéristiques du média avec celles de la tâche à réaliser. C’est la théorie de la richesse des médias (Daft et Lengel, 84, 86) : la décision d’utiliser ou de choisir un média résulte d’un processus rationnel qui nécessite de faire correspondre les caractéristiques objectives du média (capacité à transmettre un feed-back immédiat, capacité à établir un contact personnalisé, capacité à transmettre un langage riche et varié, etc.) avec le contenu du message que l’on souhaite transmettre. Le média le plus riche est celui qui permettra l’échange le moins équivoque possible (en l’occurrence selon cette théorie, le face à face).
Toutefois comme le soulignent les auteurs, si la volonté de limiter les incompréhensions dans les échanges expliquait à elle seule le choix d’un média par un acteur, on le saurait depuis longtemps ! D’abord parce que la communication peut avoir d’autres objectifs que ceux de la clarté et de la compréhension (1ère critique de la théorie de la richesse des médias). Ensuite parce le choix du média peut se faire indépendamment du contenu que l’on cherche à communiquer : le contexte organisationnel a un rôle important à jouer.
2. les facteurs de situation sont donc à prendre en compte. Ceux sont des facteurs relatifs au contexte (prise en compte des contraintes géographiques, des contraintes de disponibilité des acteurs…), aux aspects symboliques de l’utilisation des médias et à l’expérience de l’utilisation des médias. Du point de vue symbolique, (Feldman et March, 94) ont montré que les managers véhiculent à travers leurs communications des symboles qui ont pour objectif de confirmer leur légitimité et de montrer leurs compétences. Cette dimension impacte les choix qu’ils font des médias pour communiquer. De la même manière, l’expérience qu’ont les acteurs de l’entreprise de l’utilisation d’un média détermine sa richesse perçue (Carlson et Zmud, 99). Au-delà, avec cette expérience d’utilisation, les individus apprennent à utiliser le média et affinent leur utilisation : ils se l’approprient et peuvent créer de nouveaux usages.
3. enfin les facteurs liés à l’influence sociale sont aussi à prendre en compte. Ainsi depuis les travaux de (Fulk, Schmitz et Steinfiels, 90) on sait que le choix du média repose aussi sur une rationalité subjective influencée par le comportement des collègues, les expériences antérieures que l’on a vécues et les normes du groupe auquel on appartient.
Ce cadre théorique posé par les auteurs est confronté à une étude de cas menée entre 2002 et 2003 dans 3 sites différents. Cette étude de cas porte sur l’étude du phénomène de superposition des médias sur les 3 sites. La question plus précisément est de voir comment avec l’introduction d’un nouveau média (le courrier électronique), le portefeuille de médias de communication est géré.
Les résultats de cette étude sont tout à fait intéressants.
Tout d’abord, ils confirment qu’en dépit de l’intérêt croissant pour l’email, il n’y a pas de remise en cause de l’utilisation des autres médias de communication (réunions, face à face, téléphone). Il y a bien superposition des médias (effet millefeuille). Toutefois cet effet millefeuille va prendre des formes différentes en fonction de la nature de l’activité professionnelle concernée, des normes et des habitudes de communication qui prédominent dans cette activité professionnelle et du contexte d’utilisation des technologies.
Tout ceci permet aux deux auteurs de distinguer 3 effets de
superpositions :
- Un effet « millefeuille contraint » : le courrier électronique est en plus mais il n’est pas accepté. En gros, on a ajouté de la crème au millefeuille et celle-ci déborde ;-)
- Un effet « millefeuille réfléchi et émergent » : la superposition est à la fois le résultat d’une volonté managériale et l’interprétation des acteurs qui utilise le nouveau média de manière non conforme à l’esprit initial (on utilise l’email en Open-Space pour dialoguer avec son voisin de bureau !). On peut dire ici qu’en gros on fait évoluer l’état du millefeuille et qu’on ajoute des fraises à la crème. Il y a une modification mais pas déséquilibre ou un surajout de l’ensemble. C’est quasi une innovation culinaire ;-)
- Un effet « millefeuille choisi » : on aime la superposition et on la choisit. On introduit un nouveau média dans le portefeuille et on l’utilise en prenant en compte ses caractéristiques. Si on suit l’image du millefeuille, on ajoute une couche de crème et une feuille de pâte brisée ;-)
Ce travail est intéressant car il est fait réfléchir sur
l’introduction des technologies dans les organisations. Il conduit notamment à
penser qu’un des moyens de bien introduire ces technologies est de penser leur
introduction en terme de gestion de portefeuille de technologies ou de médias. Il
introduit la notion de pilotage de portefeuille de manière sous-jacente. Il
rappelle également la fonction important de coordination que joue l’utilisation
de média de communication, fonction qui est souvent oubliée, noyée dans
d’autres utilisations (stockage de données, socialisation…).
Cet article a reçu le prix CIGREF en Juin 2007.
Référence de l’article analysé : « La théorie
du millefeuille, le rôle du contexte », N. Boukef Charki et M. Kalika,
Revue Système d’Information et Management, N°4, Vol.11, 2006, p. 29-54
Commentaires :
Thème inspiré par Bryan Bell.